Cet article fait suite à la lecture du magazine Revue 21 – « La face cachée du sexe »
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1. L’échelle de Tanner : une norme androcentrée et incomplète
Créée dans les années 1960 par le pédiatre britannique James Tanner, l’échelle éponyme est encore aujourd’hui la référence mondiale pour évaluer les stades de développement pubertaire. Fondée sur l’observation d’enfants dans un orphelinat, cette classification décrit une progression en cinq stades, principalement à travers deux critères : le développement des seins pour les filles, et celui des organes génitaux (pénis et testicules) pour les garçons, en plus de la pilosité.

Cependant, cette échelle laisse complètement de côté les transformations spécifiques de la vulve. Les lèvres externes et internes, le capuchon et le gland du clitoris, bien que sujets à des modifications visibles et physiologiques à la puberté, n’y sont jamais mentionnés. Ce silence anatomique révèle un biais androcentré : la norme repose sur ce qui est observable chez le garçon, tandis que la complexité de l’anatomie féminine est évacuée. L’échelle de Tanner a ainsi contribué à standardiser une vision partielle, binaire et incomplète du développement sexuel.
2. Invisibilisation de la vulve : conséquences médicales, sociales et psychologiques
Cette lacune dans les référentiels médicaux a des répercussions bien au-delà de la simple classification. L’absence d’un discours structuré et documenté sur l’évolution normale de la vulve alimente un vide éducatif, tant pour les adolescentes que pour les professionnels de santé. De nombreuses jeunes filles développent des complexes face à leur anatomie génitale, persuadées d’être « anormales » en raison de lèvres jugées trop visibles, asymétriques ou simplement différentes du modèle lisse et glabre véhiculé dans la pornographie.
Cette pression esthétique se traduit par une augmentation rapide du nombre de labioplasties : 194 000 opérations ont été recensées en 2022 dans le monde, en hausse de 46 % en quatre ans, dont près de 7 000 en France. Ces demandes reposent souvent sur une méconnaissance du fonctionnement et de la diversité naturelle de la vulve, accentuée par l’absence de représentations anatomiques fidèles dans les outils pédagogiques.
Le déficit ne concerne pas que les patientes. Cette ignorance peut entraîner des gestes médicaux mutilants, par exemple lors d’interventions sur l’urètre qui endommagent les tissus érectiles du clitoris, par manque de cartographie précise. Ce manque de savoir contribue également, de manière plus globale, à entretenir une forme de tolérance implicite vis-à-vis des mutilations sexuelles.
3. Vers une refonte de l’évaluation pubertaire : une échelle inclusive en devenir
Pour remédier à cet angle mort médical, la gynécologue suisse M. Yaron a lancé le programme SSI (Sciences, Sexe, Identités), qui vise à produire des ressources scientifiques et pédagogiques sur l’anatomie féminine. Elle a notamment intégré de nouvelles planches anatomiques dans les manuels scolaires cantonaux. Ces avancées font écho aux travaux d’Odile Fillod, chercheuse française à l’origine du premier schéma complet et scientifiquement exact du clitoris, publié seulement en 2017.

Mais pour aller plus loin, une refonte de l’échelle de Tanner est nécessaire. L’objectif est de créer une nouvelle grille de suivi pubertaire, fondée sur un échantillon représentatif et intégrant les changements de la vulve, de la peau, des sécrétions, des poils et des autres manifestations physiologiques spécifiques aux filles. Cette démarche, ambitieuse mais indispensable, se heurte encore à un manque de financement, de reconnaissance institutionnelle et de mobilisation politique. Pourtant, elle représente une étape clé vers une médecine plus juste, plus inclusive et réellement informée sur les corps féminins.
Bravo à Revue21.fr pour cet article édifiant !